Sous le soleil ardent des marchés béninois, entre les cris des vendeurs et le vacarme des motos-taxis, les étals de viande attirent une clientèle pressée mais peu regardante. Pourtant, derrière l’odeur entêtante du sang frais et les morceaux juteux exhibés sur des tables branlantes, se cache une réalité moins reluisante : dans le secteur de la boucherie au Bénin, le souci du bénéfice semble souvent prendre le pas sur l’exigence d’hygiène, au péril de la santé publique.

Le secteur de la boucherie au Bénin est en plein essor, porté par une demande croissante de viande dans les centres urbains. Selon des chiffres récents du ministère de l’Agriculture, plus de 70% des ménages béninois consomment de la viande au moins une fois par semaine. Cette ruée vers la protéine animale a fait fleurir les points de vente improvisés, des abattoirs clandestins aux marchés de quartier, où la viande est exposée sans protection, à la merci des poussières, des insectes et de la chaleur tropicale.
À Abomey-Calavi, au grand marché de Dantokpa ou encore dans les petites localités rurales, rares sont les boucheries qui respectent les normes d’hygiène minimales. « Beaucoup travaillent sans eau potable, sans chambres froides et sans équipements de protection », explique Dr Justin Ahouansou, vétérinaire et expert en santé publique animale. « La priorité, c’est de vendre vite et de maximiser le gain, quitte à négliger les règles élémentaires d’hygiène », dénonce un consommateur. Une activité en pleine expansion, mais curieusement au mépris des normes en matière d’hygiène alimentaire.
*Les abattoirs traditionnels : entre vétusté et improvisation*
Dans les rares abattoirs officiels comme ceux de Cotonou et de Porto-Novo, la situation n’est guère plus rassurante. Malgré la présence de vétérinaires censés contrôler la qualité des viandes, les infrastructures sont souvent obsolètes, l’entretien laisse à désirer, et le circuit de distribution favorise la dégradation du produit avant qu’il n’atteigne les étals.

Des abattoirs informels, improvisés sous des hangars ou en plein air, prolifèrent aussi dans le pays. Là, les animaux sont abattus sans respect des conditions sanitaires, souvent dans des flaques d’eau souillées ou sur des sols poussiéreux. À cela s’ajoute un transport de la viande dans des conditions douteuses : motos sans glacières, voitures non réfrigérées, voire charrettes en plein soleil.
*Le prix à payer : une santé publique menacée*
Cette situation expose les consommateurs à de graves risques sanitaires. Salmonellose, listériose, parasitoses… les maladies d’origine animale peuvent se transmettre à l’homme, particulièrement lorsque la viande n’est ni contrôlée ni convenablement conservée. Dans les hôpitaux béninois, les cas d’intoxication alimentaire liés à la consommation de viande sont en constante augmentation. « Il y a un lien direct entre la mauvaise qualité de la viande consommée et certaines infections gastro-intestinales courantes dans nos hôpitaux », confirme Dr Clémence Hounkpatin, médecin infectiologue. « Ce problème est largement sous-estimé par les autorités et par la population elle-même, faute d’informations », alerte un expert en hygiène alimentaire.
*Quand la course au profit prime sur l’éthique*
Pourquoi un tel laisser-aller ? Plusieurs facteurs entrent en jeu : la précarité économique, qui pousse les bouchers à réduire leurs coûts au maximum ; le manque de formation professionnelle, qui limite la connaissance des bonnes pratiques sanitaires ; et l’absence de contrôle rigoureux de la part des autorités compétentes.

Un boucher du marché de Gbégamey, sous couvert d’anonymat, confie : « Si on devait suivre toutes les règles, on ne vendrait pas. L’électricité coûte cher, les glacières aussi. Et puis les clients eux-mêmes ne demandent pas d’où vient la viande tant qu’elle est bon marché. »
Cet aveu illustre crûment un cercle vicieux : dans un contexte où le pouvoir d’achat est faible, le prix reste le principal critère de choix, reléguant la qualité sanitaire au second plan. Le bénéfice immédiat l’emporte sur la sécurité à long terme, alimentant ainsi un système à risque pour tous.
*Que faire pour inverser la tendance ?*
Face à cette situation préoccupante, des pistes de solutions existent. Il s’agit notamment de : moderniser les abattoirs existants et en construire de nouveaux respectant les normes internationales; former les bouchers aux règles d’hygiène et à la gestion sanitaire de la viande; renforcer les contrôles vétérinaires et appliquer des sanctions dissuasives contre les pratiques illégales; sensibiliser les consommateurs afin qu’ils exigent une viande propre et de qualité; promouvoir les coopératives de bouchers pour mutualiser les équipements de conservation.
Certaines initiatives locales, comme la certification des boucheries pilotes dans certaines communes, commencent à montrer la voie. Mais elles restent encore trop rares pour changer profondément un secteur gangrené par des décennies de laxisme.
En définitive, si rien n’est fait pour changer la donne, le coût caché du désordre sanitaire dans le secteur de la boucherie risque de devenir insoutenable. Entre bénéfices à court terme et santé publique sacrifiée, c’est tout un modèle de consommation et de production qu’il faudra repenser pour un avenir plus sûr et plus sain au Bénin.
Boris MAHOUTO