Les Occidentaux réclament des comptes samedi à la Russie au lendemain de la mort d’Alexeï Navalny, opposant numéro un au Kremlin, survenue selon les autorités russes dans une prison de l’Arctique dans des circonstances encore incertaines.
Le gouvernement britannique a convoqué les diplomates de l’ambassade de Russie vendredi soir pour leur faire savoir que Moscou serait tenu « pleinement responsable » du décès de M. Navalny. Londres a réclamé une « enquête complète et transparente », à l’instar du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres qui a demandé une investigation « crédible ».
Le président américain Joe Biden, « scandalisé », a accusé son homologue russe Vladimir Poutine d’être « responsable de la mort » d’Alexeï Navalny, une « voix puissante pour la vérité », l’Union européenne incriminant, elle, « le régime russe ».
La mort d’Alexeï Navalny dit « la faiblesse du Kremlin et la peur de tout opposant », a estimé le président français Emmanuel Macron à Paris au côté de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. D’après ce dernier, il est « évident » que M. Navalny « a été tué comme des milliers d’autres (…) à cause d’une seule personne, Poutine ».
Samedi, le Premier ministre australien Anthony Albanese a lui aussi assuré tenir le président russe et son régime « pour responsables ».
Autant d’accusations que le Kremlin a jugées vendredi « absolument inacceptables », Vladimir Poutine restant silencieux bien qu’informé.
« Il n’y a pas encore eu d’examen médico-légal mais l’Occident a déjà tiré des conclusions », a noté la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova d’après l’agence de presse officielle russe TASS.
Manifestations
Malgré le risque d’arrestation et les mises en garde des autorités de Moscou, des Russes se sont réunis dans plusieurs villes pour déposer des fleurs sur des monuments à la mémoire de dissidents politiques.
Au total, « plus de 101 personnes » ont été interpellées et placées en détention lors de ces rassemblements, principalement dans des grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg, a annoncé samedi l’ONG spécialisée OVD-Info.
De l’Europe aux Etats-Unis, des centaines de personnes se sont également rassemblées vendredi soir pour rendre hommage à l’opposant politique, comme à Varsovie où des manifestants, majoritairement jeunes et pour beaucoup bouleversés, ont scandé « Poutine, assassin » et « Ne jamais oublier, ne jamais pardonner ».
Ils étaient aussi plusieurs centaines à Berlin devant l’ambassade russe aux cris de « Poutine meurtrier! Poutine à La Haye! » – ville où siège la Cour internationale de justice – ou encore de l’autre côté de l’Atlantique, devant la représentation permanente de Moscou à Washington.
« C’est un jour tellement tragique », a déclaré Polina, une entraîneure de gymnastique de 29 ans, saluant en Alexeï Navalny un « symbole de liberté, de bravoure et de résistance ».
Communiqué lapidaire
Alexeï Navalny purgeait une peine de 19 ans d’emprisonnement pour « extrémisme » dans une colonie pénitentiaire reculée de l’Arctique, dans des conditions très difficiles. Les procès qui lui avaient été intentés avaient été largement dénoncés comme étant une manière de le punir pour son opposition à Vladimir Poutine.
Les autorités russes n’ont fourni que peu de détails sur les circonstances de sa mort, assurant dans un communiqué lapidaire avoir tout fait pour réanimer l’opposant, un homme à la santé fragilisée par son emprisonnement, un empoisonnement en 2020 et une grève de la faim en 2021.
« Le prisonnier Navalny A.A. s’est senti mal après une promenade et a presque immédiatement perdu connaissance », a dit l’administration pénitentiaire russe de la région arctique de Iamal.
« Tous les gestes de réanimation nécessaires ont été pratiqués mais n’ont pas donné un résultat positif. Les médecins urgentistes ont constaté la mort du patient. Les causes de la mort sont en train d’être établies », a-t-elle précisé.
Jeudi, Alexeï Navalny avait participé par vidéo à deux audiences devant un tribunal de la région de Vladimir et ne s’était pas plaint de sa santé, d’après l’agence de presse d’Etat Ria Novosti.
Sa mère, Lioudmila Navalnaïa, a déclaré avoir vu son fils lundi « en bonne santé et d’humeur joyeuse », dans un message sur Facebook cité par le journal indépendant Novaïa Gazeta.
Sa disparition à 47 ans après trois années de détention prive de sa figure de proue une opposition exsangue, à un mois de la présidentielle qui doit encore cimenter le pouvoir de Vladimir Poutine après des années de répression.
Répression
La prison n’avait pas entamé la détermination d’Alexeï Navalny. Au cours des audiences de ses procès et dans des messages diffusés par l’intermédiaire de son équipe, il n’a jamais cessé de conspuer Vladimir Poutine.
Dans son procès pour « extrémisme », il avait fustigé « la guerre la plus stupide et la plus insensée du XXIe siècle », évoquant l’offensive russe contre l’Ukraine débutée le 24 février 2022.
Et dans un message le 1er février diffusé par son équipe, l’opposant avait appelé à des manifestations partout en Russie pendant l’élection présidentielle prévue du 15 au 17 mars.
Nombre d’opposants ont été emprisonnés ou poussés à l’exil ces dernières années et la répression s’est encore accrue depuis 2022.
L’un des plus connus est Vladimir Kara-Mourza, empoisonné à deux reprises, qui purge une peine de 25 ans de privation de liberté. Il souffre de graves problèmes de santé en détention.
D’autres détracteurs de M. Poutine ont été assassinés, comme Boris Nemtsov, tué par balle près du Kremlin en février 2015.