Import-export à l’arrêt, monnaie en chute libre, pillages et trafics en tous genres: au Soudan, la guerre qui a éclaté il y a dix mois a aussi détruit une économie exsangue depuis des décennies, estiment des experts et investisseurs.
Avant la guerre, Ahmed était un homme d’affaires prospère qui exportait de la gomme arabique, résine d’acacia très utilisée pour les boissons gazeuses, les confiseries et les cosmétiques, dont 70% de la production mondiale vient du Soudan.
Mais depuis que les deux généraux au pouvoir sont entrés en guerre le 15 avril, Ahmed s’est retrouvé à la merci de leurs hommes prompts à rançonner quiconque doit passer par leurs check-points.
« Au début de la guerre, j’avais un stock de gomme arabique destiné à l’export dans un entrepôt au sud de Khartoum. Pour l’en faire sortir, j’ai dû payer des sommes énormes aux Forces de soutien rapide », les FSR, les paramilitaires du général Mohammed Hamdane Daglo qui combattent l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane, rapporte Ahmed, un nom d’emprunt car il redoute des représailles.
Racket et taxes
« J’ai encore dû payer plusieurs fois dans les régions sous leur contrôle, puis, une fois dans une zone sous le contrôle du gouvernement », loyal à l’armée, « on m’a demandé de payer d’autres taxes », ajoute-t-il.
A Port-Soudan, l’unique port qui fonctionne pour l’import-export, « les autorités locales m’ont encore demandé de nouvelles taxes et des frais de stockage six fois plus chers qu’avant », poursuit-il.
« Résultat, aujourd’hui je ne peux plus exporter » faute de fonds pour l’acheminement et autres taxes douanières, se désole l’homme d’affaires.
Selon l’Autorité des ports du Soudan, l’import-export a baissé de 23% en 2023, avec quatre mois et demi de paix.
En outre, le ministère des Finances a récemment pris une décision lourde de conséquences pour Port-Soudan. Le taux de change du dollar en douane a été révisé de 650 livres soudanaises pour un dollar à 950.
Ce nouveau taux est encore loin du marché noir — communément pratiqué avec 70% des banques à l’arrêt dans les zones de combat, selon la Banque centrale — à près de 1.200 livres pour un dollar.
Mais il a « signé la destruction de l’économie soudanaise », s’emporte al-Sadig Jalal, ex-patron de la Chambre du Commerce du Soudan.
L’un des secteurs les plus éprouvés est l’agriculture qui, avant la guerre, représentait près de 40% du PIB et jusqu’à 80% des emplois dans les zones rurales, selon le Fonds international de développement agricole (Ifad).
Dans la région fertile d’al-Jazira, les combats ont déjà mis hors d’usage 250.000 hectares de terres, faisait chuter de 70% les 800.000 tonnes de blé produites chaque année au Soudan.
A travers le pays, seules 37% des terres agricoles sont toujours cultivées, affirme le centre de recherche Fikra.
« Des années de reconstruction »
Aux yeux de certains experts, les violences et pillages ont signé la « désindustrialisation » du Soudan. Le Fonds monétaire international (FMI) affirme que son PIB s’est contracté de plus de 18% en 2023 à cause de la guerre dont « l’impact pourrait être long » avec « des années de reconstruction ».
L’économie du pays, l’un des plus pauvres au monde, était déjà à genoux. Sous la dictature islamo-militaire d’Omar el-Béchir, déchu en 2019 après 30 ans de pouvoir, le Soudan a subi des sanctions internationales.
Lorsque ces dernières ont commencé à être levées à la faveur des prémices d’une transition démocratique dirigée par les civils, le coup d’Etat des deux généraux alors alliés et désormais en guerre a ruiné les espoirs de raviver l’économie du pays.
Sous le pouvoir civil de courte durée, les statistiques étaient publiques et l’inflation atteignait 300%. Aujourd’hui, plus aucun chiffre ne filtre mais les 48 millions de Soudanais, pour près du quart aujourd’hui déplacés par les violences, disent ne plus s’y retrouver. La moitié d’entre eux ont besoin d’aide humanitaire pour simplement survivre.
Dix-huit millions souffrent de faim aiguë, dont cinq millions sont en situation « d’urgence », le dernier palier avant la famine, selon le Programme alimentaire mondial (PAM) qui dit ne pouvoir aider que 10% d’entre eux, « à cause des menaces, des routes bloquées, du rançonnement et des taxes réclamées ».
Face à eux, estime l’économiste Haitham Fethi, « l’Etat est totalement absent et cela affecte tous les secteurs de l’économie » dans un pays où la guerre a déplacé huit millions de personnes et fait des milliers de morts, selon des experts de l’ONU.