À quelques mois de la fin de son second mandat constitutionnel, le président béninois Patrice Talon s’apprête à tourner une page historique. Dix années d’exercice du pouvoir qui ont vu défiler autour de lui une myriade de personnalités politiques, technocrates et proches collaborateurs. Si certains sont restés loyaux jusqu’au bout, d’autres ont connu des ruptures fracassantes, et d’autres encore ont quitté discrètement le navire présidentiel, victimes de désaccords ou d’impondérables politiques. Tour d’horizon de ces figures clés de l’ère Talon.
Depuis son accession à la présidence en avril 2016, Patrice Talon a constitué plusieurs gouvernements, avec des remaniements successifs. Cependant, certains ministres sont restés en poste de manière quasi continue, reflétant leur proximité avec le président et leur rôle
clé dans son administration. Ces ministres « inamovibles » détenteurs des portefeuilles stratégiques sont plus que jamais sûrs de poursuivre l’aventure jusqu’en 2026.

Les fidèles : piliers de la gouvernance Talon
Ils sont les gardiens du temple, les compagnons de route indéfectibles, les visages devenus synonymes du pouvoir dit de la “Rupture”. Ces fidèles ont traversé les tempêtes sans jamais vaciller. À leur tête, Romuald Wadagni, l’incontournable ministre de l’Économie et des Finances, véritable architecte des réformes économiques, qui a conservé toute la confiance du chef de l’État depuis 2016. Il est maintenu malgré les remaniements successifs. Un cadre compétent, mais également un collaborateur dévoué, discret taciturne, mais efficace dans l’action. Un vrai homme de confiance, un argentier national qui a battu le record de longévité à ce poste stratégique de l’exécutif béninois et qui n’est pas prêt à lâcher ce titre foncier gardé avec soin.
Abdoulaye Bio Tchané, ministre d’État chargé du Développement et stratège politique avisé, est également resté un rouage essentiel de l’exécutif. Celui que d’aucuns appellent l’homme à tout faire de l’exécutif béninois est non seulement un haut fonctionnaire, mais aussi un vétéran de l’administration béninoise. Incontestablement, il est le plus expérimenté du gouvernement pour son parcours assez dense au plan national et international. Jamais il n’a été délogé du gouvernement.
Jean-Michel Abimbola, ministre de la Culture, et Modeste Kérékou, ministre des Petites et Moyennes Entreprises, ont eux aussi incarné la stabilité au sein de l’équipe gouvernementale, sans oublier la doyenne du personnel féminin de l’exécutif béninois, Mathys Adidjatou, ministre du Travail et de la Fonction publique. Une autre femme, Aurélie Adam Soulé Zoumarou, ministre de l’économie numérique et de la Digitalisation qui a rattrapé le navire depuis depuis le 27 octobre 2017 et qui poursuit l’aventure.
José Didier Tonato en charge du
ministère du Cadre de vie et du
Développement durable depuis avril
2016, est maintenu malgré les
remaniements. Il est l’artisan de plusieurs grands projets urbains. Karimou Salimane, ministre des Enseignements maternel et primaire depuis avril 2016, reste en poste après chaque remaniement. Alassane Séidou après avoir été ministre de la Santé a occupé successivement les ministères des Infrastructures et des Transports, puis de la Décentralisation et de la
Gouvernance locale. Depuis mai 2021, il est ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Leur point commun : une loyauté constante et une capacité à s’adapter aux exigences du chef.
*Les impertinents ou insoumis : départs en demi-teinte*
Certains départs, bien que marquants, n’ont jamais été officiellement qualifiés de ruptures. Ils relèvent de ce qu’on pourrait appeler des « impondérables politiques » : désaccords stratégiques, divergences de vision ou simples incompréhensions.
Candide Azannaï, figure de la société civile et premier ministre délégué à la Défense sous Talon, a claqué la porte dès 2017, dénonçant un écart entre les idéaux de la Rupture et la réalité du pouvoir. Aurélien Agbénonci, ministre des Affaires étrangères jusqu’en 2023, a quitté le gouvernement dans un contexte flou, marqué par une mise en retrait progressive.
Séverin Quenum, ex-ministre de la Justice, a aussi fait partie de ces départs imprévus. Si les raisons exactes n’ont jamais été confirmées, plusieurs sources évoquent des tensions internes et des désaccords sur certaines orientations de la gouvernance. Il faut également ajouter Adambi Soulé, ancien ministre des Mines et de l’eEau sorti du gouvernement la tête baissée tout comme Jean Claude Houssou, ancien ministre de l’Énergie. Sacca Lafia, ex-ministre de l’Intérieur pendant une grande partie du premier mandat a été porté à la tête de la Commission électorale nationale autonome (Céna). Ces figures, bien que sorties du cercle rapproché du pouvoir, n’ont jamais officiellement rompu avec le président, entretenant souvent un flou stratégique sur leur positionnement, même si dans certains cas, le divorce est consommé.
*Les déchus : ruptures sèches et brutales*
L’histoire du régime Talon est aussi marquée par des départs abrupts, parfois spectaculaires, d’anciens collaborateurs ou amis proches devenus persona non grata. Parmi eux, Oswald Homéky, ministre des Sports, figure populaire et longtemps considéré comme un “homme du président”. Son départ, non annoncé mais effectif dans les faits, a laissé place à un silence assourdissant, révélateur d’un divorce politique qui sera finalement prouvé par le dossier de tentative de coup d’État qui lui vaut des ennuis judiciaires.
Autre cas emblématique : Olivier Boco, présenté comme un ami intime de Patrice Talon, homme de confiance dans l’ombre du pouvoir. Son éloignement, aussi discret que soudain, a alimenté les spéculations sur une rupture personnelle et politique. Lui également cité comme complice dans l’affaire de tentative de coup d’État contre le président Patrice Talon.
Plusieurs autres cadres, anciens directeurs généraux, conseillers spéciaux comme Johannes Dagnon, ancien directeur général du Bureau d’Analyse et d’Investigation (BAI) ou opérateurs économiques proches du régime, ont connu un sort similaire. Ils ont disparu de la scène publique, parfois dans la disgrâce, parfois dans un silence chargé de non-dits. Difficile de dresser ici le répertoire exhaustif des collaborateurs fidèles ou infidèles du président Patrice Talon qui verront ou non la fin du mandat de l’homme qui incarne la rupture à tous les niveaux.
*Une gouvernance marquée par la verticalité*
Ce panorama de l’entourage présidentiel en dit long sur le mode de gouvernance de Patrice Talon. Si le président béninois a su s’entourer de compétences techniques et de profils solides, sa manière d’exercer le pouvoir, marquée par une forte centralisation et un goût prononcé pour la discrétion, a aussi produit son lot de frustrations, de départs imprévus et de silences éloquents.
À l’approche de la fin de son mandat, cette cartographie des fidèles, des impondérés et des déchus offre une lecture politique précieuse : celle d’un pouvoir qui, tout en bâtissant une architecture institutionnelle forte, n’a jamais toléré la dissonance durable au sein de son cercle rapproché.
Boris MAHOUTO