« C’est la première fois que j’achète des fruits et légumes à la pièce », confie une retraitée faisant ses courses. Face à la cherté de la vie, des Tunisiens se serrent la ceinture pour le ramadan, mois de jeûne mais aussi de repas festifs nocturnes en famille.
Habituellement, les Tunisiens se préparent au mois sacré en s’approvisionnant en grandes quantités d’aliments de base, mais cette année, la flambée des prix, sur fond de récession et montée du chômage, affecte lourdement leur pouvoir d’achat.
« Je ne suis pas pauvre mais je n’y arrive plus! Ma pension ne me permet pas de couvrir mes besoins », confie à l’AFP Fayka, retraitée de 65 ans qui préfère taire son nom de famille, au marché Bab El Fellah, à Tunis, très fréquenté par les couches populaires.
Elle se prive désormais de viande rouge, dont le prix dépasse les 40 dinars (plus de 12 euros) le kilo dans un pays où le salaire moyen s’élève à 1.000 dinars mensuels (environ 300 euros).
« Aujourd’hui, je n’arrive qu’à acheter de la marchandise bas de gamme et en plus, à la pièce », déplore-t-elle. « La situation n’a jamais été aussi difficile et étouffante. Je dois faire la queue pour quelques produits (subventionnés par l’Etat, NDLR) et payer des factures excessives d’électricité et d’eau, parfois en retard », dit-elle.
Mohamed Doryi, vendeur de légumes de 69 ans, n’affiche plus ses prix pour éviter de faire fuir les clients. « A cette période par le passé, tu n’aurais pas pu mettre un pied dans le marché tellement il était bondé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », dit-il.
La Tunisie, qui compte 12 millions d’habitants dont un tiers vit sous le seuil de pauvreté, subit depuis deux ans une inflation élevée (10% en moyenne par an) avec des prix alimentaires qui ont parfois triplé.
La croissance, en redémarrage après le Covid, s’est essoufflée l’an passé (à 0,4%) à cause d’une grave sécheresse qui a décimé les récoltes. Le pays est même entré en récession fin 2023 et le chômage est reparti à la hausse (16,4% fin 2023 contre 15,2% un an plus tôt).
Le pays est en outre secoué par des tensions politiques depuis que le président, Kais Saied, s’est octroyé les pleins pouvoirs en juillet 2021.
« Stagflation »
Dans une boucherie, une quinquagénaire commande timidement 150 grammes de veau. « Mon mari est récemment décédé et je n’ai pas les moyens d’en acheter plus », murmure-t-elle au vendeur.
« Il y a de plus en plus de gens qui demandent deux dinars (environ 60 centimes) de viande hachée (moins de 100 grammes) ou 1,5 dinar de merguez. Je ne peux pas leur dire non. Les gens sont épuisés », explique Mustapha Ben Salmane, boucher de 52 ans, se disant également « fatigué de la situation ».
Selon lui, « la plupart des gens traversent des difficultés financières. Les salaires ont été versés avant le ramadan et (les prochains) n’arriveront que peu de temps avant l’Aïd (vers le 10 avril). Par conséquent, la plupart des gens se retrouvent sans revenus » alors que le ramadan, d’habitude synonyme de fastes dîners en famille, n’a pas encore commencé.
Pour l’économiste Ridha Chkoundali, « économiquement parlant, nous vivons une période de stagflation, c’est-à-dire une chute de la croissance et une montée de l’inflation » qui a « un double effet sur le pouvoir d’achat des Tunisiens », faisant « baisser les revenus réels ».
Parmi les causes, l’économiste cite « le choix délibéré des pouvoirs publics de préférer rembourser les dettes surtout extérieures, au détriment de l’approvisionnement du marché en denrées de base et intrants » agricoles (engrais et fourrages).
En Tunisie, c’est l’Etat qui centralise les achats de produits subventionnés et le manque d’argent dans les caisses publiques — grevées aussi par les salaires de plus de 650.000 fonctionnaires — provoque régulièrement des pénuries de farine, riz, sucre ou semoule.
Les banques tunisiennes sont en outre très sollicitées pour financer la dette du pays (80% du PIB), ce qui mine leur capacité à prêter au secteur privé et aux petites et moyennes entreprises (PME).
Le manque de ressources résulte aussi « du choix de rompre avec le FMI », estime l’économiste Chkoundali. Le président Saied a rejeté l’an passé un pré-accord conclu avec le Fonds monétaire international pour un nouveau prêt de deux milliards de dollars, qualifiant de « diktats » les réformes associées à son obtention.