Près de trois décennies après la Conférence nationale de février 1990, le Bénin semble toujours orphelin d’une figure consensuelle de médiation. Alors que les tensions sociopolitiques resurgissent périodiquement, la question d’une autorité morale capable de parler d’une voix ferme et respectée à l’ensemble de la classe politique reste plus que jamais d’actualité. Et le nom de Mgr Isidore de Souza revient, inévitablement, comme un symbole dont la postérité peine à trouver l’héritier.
En 1990, alors que le pays était au bord de l’asphyxie économique et politique, c’est sous la houlette de Mgr Isidore de Souza que s’est tenue la Conférence nationale des forces vives de la Nation. Figure charismatique de l’Église catholique et fin connaisseur des équilibres sociopolitiques, il avait su incarner l’esprit de neutralité, de sagesse et de fermeté qui permit au Bénin d’amorcer une transition pacifique vers la démocratie. Son autorité morale, respectée aussi bien par les militaires, les religieux, que les intellectuels et les masses populaires, en faisait une sorte de boussole nationale dans les moments les plus sombres. Un homme au-dessus des clivages politiques et dont l’action repose sur le consensus, le dialogue et le vivre-ensemble.

Un vide toujours béant
Depuis sa disparition de ce prélat hors norme, le pays n’a pas encore trouvé une figure de son envergure capable d’unir au-delà des appartenances politiques, ethniques ou religieuses. Plusieurs personnalités ont émergé au fil du temps, certaines avec de solides parcours, d’autres portées par l’espoir populaire. Mais aucune n’a véritablement fait l’unanimité. Pire, les soupçons d’affiliation partisane viennent souvent entacher les tentatives de médiation et alimentent la défiance.
Des hommes de foi, des intellectuels, d’anciens hauts fonctionnaires, des membres influents de la société civile ont tour à tour été sollicités ou suggérés. Mais dans un contexte politique de plus en plus polarisé, le moindre soupçon de proximité avec un courant politique suffit à discréditer les plus crédibles des candidats potentiels. Le pays semble pris dans une logique de suspicion généralisée qui empêche l’émergence d’un véritable arbitre moral.
*Une hémorragie de figures respectées*
Le tableau s’assombrit davantage avec la disparition, ces dernières années, de certaines figures emblématiques de la modération et de la parole libre. D’éminents universitaires, des responsables religieux, des acteurs associatifs et culturels qui faisaient autorité de par leur intégrité, leur parcours ou leur posture équilibrée ont quitté la scène, emportés par la maladie ou le poids de l’âge. Le pays perd ainsi progressivement ces piliers qui, à défaut de médiation officielle, savaient créer des ponts dans les moments critiques.
*Quel profil pour demain ?*
Dans un contexte marqué par la montée des tensions politiques, la polarisation des opinions et une défiance croissante envers les institutions, la question de la médiation devient cruciale. Elle exige un profil à la fois moralement irréprochable, intellectuellement solide, et capable d’indépendance réelle face aux pouvoirs en place comme à l’opposition. Une figure capable de dire des vérités sans crainte, d’écouter sans juger, et de réunir sans manipuler.
Certains appellent à réinventer la médiation, à l’élargir à des collectifs pluriels plutôt qu’à la concentrer en une seule personne. D’autres plaident pour que l’Église, les chefferies traditionnelles, les syndicats ou la société civile trouvent un langage commun pour endosser ce rôle collectif de médiateur. Mais la nostalgie de Mgr de Souza continue de hanter les esprits. Et pour cause : peu de pays peuvent se vanter d’avoir connu un tel homme, dont l’héritage spirituel et politique demeure un repère incontournable.
*Un besoin vital pour la démocratie béninoise*
Alors que la démocratie béninoise traverse des turbulences ponctuelles, où l’exclusion politique, les contestations électorales et les tensions institutionnelles menacent parfois le pacte républicain, le besoin d’un médiateur fort, légitime et neutre devient une urgence. Faute de quoi, les crises risquent de s’enliser ou de s’aggraver, faute d’oreille écoutée de tous.
À défaut de retrouver un « nouveau Mgr de Souza », peut-être faut-il inventer une médiation à la hauteur des défis contemporains. Mais une chose est certaine : le Bénin ne peut durablement faire l’économie d’un espace de dialogue porté par des voix crédibles, capables de s’élever au-dessus des intérêts partisans.
Boris MAHOUTO