Les Sénégalais savent à présent que, sauf nouveau rebondissement, ils éliront leur cinquième président le 24 mars et entrevoient une sortie à la crise profonde provoquée par le report de dernière minute de l’élection.
Un ultime doute a été levé jeudi quand le Conseil constitutionnel s’est aligné sur cette date du 24, après en avoir retenu une différente de celle fixée par la présidence.
Après un mois d’un flottement qui a alarmé l’opinion nationale et une partie de la communauté internationale, les Sénégalais peuvent entrer précipitamment en campagne en vue de la présidentielle peut-être la plus ouverte de leur histoire contemporaine.
Avec quelques développements potentiellement lourds de conséquences, comme l’adoption entretemps d’une loi d’amnistie dont pourrait grandement profiter le candidat antisystème Bassirou Diomaye Faye.
Le président Macky Sall et le Conseil constitutionnel, dans une brutale accélération des évènements, ont partiellement tiré mercredi soir les électeurs du brouillard dans lequel ils étaient plongés depuis que le chef de l’Etat avait décrété le 3 février l’ajournement de la présidentielle prévue le 25 février.
Un degré de confusion subsistait, la présidence annonçant le premier tour le 24 mars, le Conseil constitutionnel le 31.
Le Conseil constitutionnel, qui s’est opposé frontalement à l’exécutif depuis février, s’est montré cette fois conciliant. Les « Sages » ont expliqué dans un communiqué qu’ils n’avaient fait que « pallier l’inertie de l’administration » en décidant du 31, mais que l’exécutif a entretemps remédié à cet état de fait en prenant des décrets convoquant le corps électoral le 24.
La campagne débutera samedi et se terminera vendredi 22 mars, selon un décret présidentiel publié jeudi soir.
– « Victoire du peuple » –
Après la commotion et l’incertitude causées par le report, des Dakarois ont exprimé leur soulagement. « Les étudiants et tout le monde étaient dans une situation un peu angoissante et stressante », dit Mamadou Dramé, étudiant lui-même. « Enfin le Sénégal va pouvoir respirer à nouveau ».
« On (avait) l’impression que le pays (avait) arrêté de tourner », dit l’artiste rappeur se présentant sous le nom de Xuman. « Dans moins de trois semaines on ira aux urnes. Je pense qu’il est grand temps qu’on essaie de tourner cette page et qu’on passe à autre chose », dit-il.
Le 24 mars évite à la communauté chrétienne, significative, de voter le dimanche de Pâques. La campagne se déroulera pendant le mois de jeûne musulman. Elle sera plus courte que les 21 jours prescrits par le code électoral.
Mais Babacar Gueye, un des leaders du collectif citoyen Aar Sunu Election (« Préservons notre élection »), a souligné qu’après les affres récents, tout le monde ou presque était prêt à presser le mouvement.
Cet horizon qui se dégage, « c’est la victoire de tout le peuple qui voulait aller à une élection dont il était privé », dit-il.
Des points de crispation primordiaux semblent traités: le Conseil, confirmant une position antérieure, a refusé que l’élection se tienne après l’expiration du mandat du président Sall le 2 avril. Il a rejeté la date du 2 juin préconisée par un « dialogue national » convoqué par le chef de l’Etat pour sortir de la crise, et largement acquis à sa cause.
Le Conseil a fait barrage à un réexamen de la liste des 19 candidats qu’il avait validée dès janvier, à un désistement près survenu depuis.
Le président Sall a justifié le report par la crainte de nouveaux troubles, après ceux connus en 2021 et 2023, en cas d’élection contestée.
– Wade, Sonko hors-jeu –
Un large front de l’opposition, d’une grande partie des candidats qualifiés et de la société civile s’est formé contre ce qui a été présenté comme un « coup d’Etat constitutionnel ». Le président a été accusé de chercher à s’accrocher au pouvoir et à conjurer la défaite à venir du Premier ministre Amadou Ba, désigné candidat à sa succession. M. Sall s’en défend.
Des manifestations ont fait quatre morts. Il y a eu des dizaines d’arrestations.
Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye, reste hors course, tout comme Ousmane Sonko, chef de file de l’opposition antisytème et acteur principal d’un bras de fer avec le pouvoir qui a tourné depuis 2021 à une confrontation meurtrière dans laquelle des dizaines de personnes ont perdu la vie et des centaines d’autres ont été arrêtées. M. Sonko est détenu depuis 2023. Donné comme l’un des favoris de la présidentielle, il en a été disqualifié par le Conseil constitutionnel en janvier 2024.
Son second et suppléant désigné, Bassirou Diomaye Faye, bien qu’emprisonné lui aussi, se retrouve, lui, confirmé dans la course. MM. Sonko et Faye pourraient être éligibles à une libération après l’adoption par l’Assemblée d’une loi amnistiant les actes commis en lien avec les manifestations politiques depuis 2021.
Rien ne permet de dire si et quand M. Faye, voire M. Sonko, pourraient être relâchés, ni quand la loi serait promulguée.
La date d’un deuxième tour, probable en l’état actuel des candidatures, n’a pas été communiquée.