Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a jeté un pavé dans la mare en déclarant devant l’Assemblée nationale que « le franc CFA n’est pas adéquat à notre destinée ». Une affirmation forte, prononcée au cours d’une séance de questions au gouvernement, qui confirme la volonté de rupture monétaire exprimée par le nouvel exécutif sénégalais.
Face aux députés, Ousmane Sonko a réitéré l’ambition du gouvernement de faire évoluer la monnaie actuelle, héritée de l’époque coloniale. « Le seul facteur qui nous lie à l’Europe, c’est la monnaie », a-t-il déclaré, pointant du doigt le caractère anachronique d’un système monétaire encore largement dépendant de la Banque de France et du Trésor français.
S’il a reconnu que la sortie du franc CFA ne pouvait se faire de manière brusque, le chef du gouvernement a néanmoins appelé à une transition progressive mais déterminée : « Un pays ne peut tout raser d’un coup », a-t-il concédé, tout en avertissant : « Soit la monnaie évolue, soit nous prendrons nos responsabilités. »
Cette sortie publique s’inscrit dans la continuité des propos tenus début avril par le président Bassirou Diomaye Faye, qui avait évoqué plusieurs pistes pour rompre avec le franc CFA. Parmi les options envisagées figure la création d’une devise nationale propre au Sénégal, projet qui marquerait une rupture historique avec plus de soixante ans d’ancrage monétaire au franc CFA.

Le président Faye avait toutefois reconnu que cette transition ne saurait être immédiate. Il avait plaidé pour une démarche prudente, concertée et techniquement soutenue, dans un contexte régional encore dominé par la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), dont huit États membres utilisent actuellement le franc CFA.
*Un débat relancé sur la souveraineté monétaire*
Cette prise de position conjointe du chef de l’État et de son Premier ministre relance de manière spectaculaire le débat sur la souveraineté monétaire en Afrique de l’Ouest. Longtemps cantonnée aux cercles d’intellectuels panafricanistes, la question du franc CFA devient aujourd’hui une priorité affichée de l’agenda politique sénégalais.
Pour de nombreux observateurs, la remise en question du franc CFA par les plus hautes autorités sénégalaises reflète une volonté assumée de rupture avec les symboles et les mécanismes de la Françafrique. La monnaie, perçue par certains comme un levier de contrôle économique indirect, cristallise les tensions entre l’héritage colonial et les aspirations souverainistes contemporaines.
Reste à savoir si cette ambition de réforme monétaire suscitera un élan régional, ou si le Sénégal choisira une voie solitaire. Le projet d’une monnaie commune à la CEDEAO, l’Eco, reste en suspens depuis plusieurs années, victime de dissensions entre pays anglophones et francophones de la région.
*Un tournant historique en gestation*
En exprimant clairement leur position sur la nécessité de tourner la page du franc CFA, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko dessinent les contours d’un tournant historique pour le Sénégal. Mais les défis restent nombreux : réformes institutionnelles, construction d’une nouvelle banque centrale, gestion de la dette, préservation de la stabilité macroéconomique…
Autant de questions qui exigent une approche rigoureuse et des concertations régionales soutenues. Car si la rupture monétaire est un acte de souveraineté, elle est aussi une entreprise technique complexe qui demande du temps, de l’expertise et du courage politique.
Une chose est désormais certaine : le débat sur le franc CFA ne pourra plus être éludé. Il s’invite au cœur du projet de refondation nationale porté par le nouveau pouvoir sénégalais.
CMM