A rebours de nombre de pays où le droit à l’avortement recule, la France va devenir lundi le premier pays à inscrire explicitement dans sa Constitution l’interruption volontaire de grossesse, une question devenue consensuelle dans l’opinion et désormais dans la classe politique.
Députés et sénateurs réunis solennellement en Congrès dans une aile du château de Versailles devraient approuver à une très large majorité la modification de la Constitution proposée par le gouvernement du président Emmanuel Macron.
A quatre jours du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, cette réforme introduira à l’article 34 du texte fondamental la phrase suivante: « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés est requise pour approuver ce changement. Elle devrait être atteinte sans difficulté, après les votes massifs de l’Assemblée (493 députés contre 30) et du Sénat (267 voix contre 50).
Le vote des sénateurs, qui a levé mercredi le dernier verrou vers la constitutionnalisation, a surpris par son ampleur jusqu’aux plus fervents défenseurs de cette inscription.
« Le Sénat a écrit une nouvelle page du droit des femmes », a applaudi le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, affirmant que la France serait « le premier pays au monde » à engager une telle démarche.
De fait, il s’agira de « la première disposition constitutionnelle aussi explicite et large en la matière, pas juste en Europe, mais dans le monde », selon Leah Hoctor, du Center for Reproductive Rights, organisation américaine défendant le droit à l’avortement.
Militant inlassable de cette constitutionnalisation, le Planning familial a salué par avance le « message d’espoir » qu’enverra le Congrès « aux féministes du monde entier ». « Car en France et à travers le monde, le droit à l’avortement est encore gravement menacé », a souligné dans un communiqué l’association.
« Bataille culturelle »
Démonstration en a été faite de manière spectaculaire avec l’annulation en juin 2022 aux Etats-Unis de l’arrêt Roe v. Wade, qui protégeait l’accès à l’avortement au niveau fédéral. Depuis, de nombreux Etats ont fortement restreint voire interdit l’avortement sur leur sol et des milliers d’Américaines sont obligées d’entreprendre des voyages pénibles et coûteux pour avorter.
Cette décision outre-Atlantique a eu l’effet d’un électrochoc sur l’opinion et les élus français.
En novembre 2022, l’Assemblée a très largement adopté, avec le soutien de la majorité, une proposition de loi constitutionnelle garantissant le droit à l’IVG, présentée par le parti de gauche radicale LFI.
Le Sénat, plus conservateur et dominé par la droite et le centre, s’est emparé à son tour de la question et s’est prononcé à une courte majorité (166 voix contre 152) en février 2023 pour l’inscription dans la Constitution d’une « liberté » des femmes d’avorter.
Le mois suivant, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d’inscrire dans la Constitution la « liberté » de recourir à l’avortement, lors d’un hommage national à l’avocate féministe Gisèle Halimi.
Le projet de loi constitutionnelle est finalement présenté le 12 décembre. Proposant d’inscrire la « liberté garantie » des femmes d’avorter, une rédaction de compromis, il est plébiscité dans les deux chambres, contre l’avis du président LR (droite) du Sénat Gérard Larcher .
La majorité a estimé que la « mobilisation de la société civile » et la « pression populaire » – avec des sondages montrant une adhésion supérieure à 80% à la constitutionnalisation -, avaient contribué à l’adoption massive du texte.
Depuis le feu vert au Sénat, peu de voix hostiles se sont fait entendre. La Conférence des évêques de France a fait part de sa « tristesse », tandis qu’à l’extrême droite, la tête de liste du parti Reconquête! aux européennes, Marion Maréchal, a raillé un « gadget juridique » destiné à « faire plaisir à une petite minorité politisée ». Les opposants à l’IVG ont annoncé une mobilisation à Versailles lundi après-midi.
En France, « on a remporté la bataille culturelle » en matière d’IVG, s’est à l’inverse félicitée la sénatrice écologiste (opposition) Mélanie Vogel.
L’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été légalisée en France en 1975 par la loi Veil, quatre ans après un appel choc où 343 femmes, dont les actrices Jeanne Moreau et Catherine Deneuve et les écrivaines Simone de Beauvoir, Marguerite Duras et Françoise Sagan, avaient révélé s’être fait avorter.