Réunion préparatoire au forum entre des représentants du ministère sud-coréen des Affaires étrangères et ambassadeurs de pays africains, Séoul, 28 février 2024.
Pour la première fois, la République de Corée (Corée du Sud) organise un sommet des chefs d’État et de gouvernement avec ses partenaires africains. L’événement – dont le slogan est « L’Avenir que nous construisons ensemble : Croissance partagée, Durabilité et Solidarité » – marque la volonté de Séoul de redynamiser ses relations avec le continent.
Le défi est grand, tant l’Afrique est courtisée et fait l’objet d’une compétition renouvelée qui laissera peu de place aux nouveaux entrants. Pour atteindre son objectif, la Corée du Sud devra redoubler d’efforts pour inscrire cet engagement dans la durée.
Une volonté affichée au plus haut niveau. Les 4 et 5 juin prochain, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol accueillera de nombreux dirigeants africains sur son sol pour le premier sommet Corée du Sud-Afrique. Cette grande manifestation internationale fait suite à un premier sommet Corée du Sud-Îles du Pacifique qui s’est tenu à Séoul en mai 2023, signe du dynamisme de la diplomatie sud-coréenne.
Au moins 47 pays africains devraient être représentés, dont une vingtaine au niveau de leurs chefs d’État ou de gouvernement. Yoon Suk-yeol (en poste depuis 2022) place de grandes ambitions dans l’organisation de cette rencontre qui s’articulera autour de sept thèmes : commerce et investissements ; défis mondiaux ; énergie et infrastructures durables ; développement humain ; science-technologie ; transformation numérique, échanges humains ; ainsi que la paix et la sécurité. Il s’agira de la plus importante séquence internationale de l’administration Yoon.
Les vrais experts ont la parole sur The Conversation.Dans une certaine mesure, ce sommet s’inscrit dans la dynamique politique déjà engagée par deux prédécesseurs de Yoon Suk-yeol en matière de relations internationales. C’est toujours « l’initiative coréenne pour le développement de l’Afrique » du président Roh Moo-hyun (2008-2008) qui guide les actions de coopération de la Corée du Sud avec le continent africain. Son successeur, Lee Myung-Bak (2008-2013), a pour sa part lancé en mai 2013 le club des « Amis de l’Afrique » afin de promouvoir, avec un certain succès, les investissements sud-coréens sur le continent. En 2022, le montant cumulé des investissements sud-coréens en Afrique s’élevait à 9,2 milliards de dollars tandis que les échanges bilatéraux étaient de 20,45 milliards de dollars. Ce montant est assez proche des 24 milliards d’échanges entre le Japon et l’Afrique mais très loin derrière les 257,67 milliards de dollars d’échanges entre la Chine et le continent.
Si cette continuité de l’action diplomatique présente certains avantages (visibilité et prévisibilité), Yoon Suk-yeol devra toutefois trouver le ton juste pour imprimer sa marque auprès de ses visiteurs désormais régulièrement invités partout dans le monde (Arabie saoudite, Chine, États-Unis, France, Inde, Italie, Japon, Russie, Turquie, etc.).
Surtout, pour être crédible, le dirigeant sud-coréen ne pourra pas se contenter uniquement d’affichage ou d’une annonce de soutien à une prochaine campagne internationale de la Corée du Sud. Il devra être en capacité de proposer des initiatives concrètes et puissantes pour espérer dynamiser les relations avec l’Afrique.
Un cadre d’engagement déjà existantJusqu’au début des années 1990, les liens de la Corée du Sud avec le continent africain ont été essentiellement motivés par sa lutte d’influence avec son voisin du Nord. L’Afrique était alors perçue comme un terrain d’affrontement diplomatique dans un contexte de guerre froide. D’ailleurs, plusieurs pays africains lui ont apporté leur soutien lors de la guerre de Corée de 1950 à 1953. L’Éthiopie a ainsi envoyé des gardes impériaux du bataillon Kagnew dont 121 sont morts et 536 ont été blessés au cours des combats. De son côté, l’Afrique du Sud a fourni un escadron de force aérienne (les Guépards volants), tandis que le Libéria et l’Égypte ont apporté un soutien logistique. Des soldats marocains se sont également battus dans la péninsule coréenne dans le cadre d’une section de volontaires au sein du bataillon français.
Cette participation africaine à la guerre de Corée n’a toutefois pas permis à Séoul de capitaliser durablement sur ce soutien. A contrario, la Corée du Nord a pu trouver en Afrique des pays proches de son idéologie et enclins à la soutenir (Angola, Mozambique, Nigeria, Ouganda, Zimbabwe, etc.). Toutefois, avec les fermetures de ses ambassades en Angola et en Ouganda fin 2023, la Corée du Nord semble être aujourd’hui dans une période de reflux à l’égard de l’Afrique et se concentrer plus fortement sur son voisinage proche.
Ce sont les Jeux olympiques de Séoul en 1988, la fin de la guerre froide et le début de l’extension internationale du commerce sud-coréen qui ont facilité une relance de la relation. La création de l’Agence sud-coréenne de coopération internationale (KOICA) en 1991 a également permis de raffermir les liens avec l’étranger, même si l’Afrique n’a jamais été une destination prioritaire de l’aide publique au développement (APD) sud-coréenne. Ainsi, en 2023, l’Afrique n’a reçu que 25 % de l’APD sud-coréenne, contre 49 % pour la zone Asie.
C’est en 2006, avec le lancement de l’« Initiative de la Corée du Sud pour le développement de l’Afrique », que la Corée a revu en profondeur son approche de l’Afrique. Cette année-là, Roh Moo-hyun effectua une tournée en Algérie, en Égypte et au Nigeria. Ce choix marquait la volonté du dirigeant de sécuriser ses approvisionnements énergétiques alors que la situation demeurait précaire au Moyen-Orient. Ce déplacement devait également amener le secteur privé coréen à s’intéresser davantage aux opportunités du marché africain.
La même année, la Corée du Sud a créé la Conférence ministérielle de la Coopération économique entre la Corée et l’Afrique (KOAFEC), ainsi que le Forum Corée-Afrique (KOAF) pour servir de plates-formes pour sa coopération avec l’Afrique.
En 2013, le forum « l’Afrique, Nouvelle Ère » de l’Assemblée nationale coréenne a permis de jeter les bases d’une diplomatie parlementaire sud-coréenne en direction de l’Afrique. Parallèlement, l’« Initiative de Coopération Globale avec l’Afrique » inaugurée en 2016 a vu se déployer un cadre favorable à l’établissement d’un partenariat de coopération entre l’Afrique et la Corée du Sud. Enfin, une Fondation Corée-Afrique a été créée en 2018 au sein du ministère sud-coréen des Affaires étrangères pour favoriser les échanges au niveau privé et du monde des affaires.
Des résultats insuffisants à ce stade. Pour légitimer son action en Afrique, la Corée du Sud a construit un narratif reposant sur deux piliers : le fait que la Corée a aussi été colonisée (par le Japon), que son histoire avec le continent est vierge de toute tâche et que le pays dispose, à l’instar de Singapour et de Taïwan, d’un modèle de développement particulier qui a fait ses preuves. Pour ces raisons, la Corée du Sud souhaite proposer son modèle au continent africain, en lui donnant notamment accès à ses savoir-faire et ses technologies.
Toutefois, malgré la sympathie réelle dont la Corée du Sud bénéficie en Afrique, elle peine à s’imposer comme un partenaire durable et évident du continent. Les échanges commerciaux stagnent depuis 2011, de même que les investissements directs sud-coréens sur le continent.
Alors que l’économie sud-coréenne est morose, le développement des affaires en Afrique n’est plus une option mais bien un sujet vital. Sans les ressources minières du continent, nécessaires aux batteries et semi-conducteurs, Samsung et LG Electronics auront de sérieuses difficultés à produire, ce qui aurait des conséquences majeures sur l’économie du pays. De même, les conglomérats sud-coréens (chaebols) ne peuvent que s’intéresser au continent qui pourrait à terme disposer de la plus grande zone de libre-échange du monde et d’un marché potentiel de 1,2 milliard de personnes.
Il faut ajouter que d’après les prévisions de l’ONU, d’ici à 2050 le continent comptera pour 25 % de la population mondiale et près de 40 % d’ici à la fin du siècle. La Corée du Sud n’a d’autre choix que d’anticiper les conséquences du « siècle africain » sur l’ordre mondial. Pour y réussir son implantation, elle aura non seulement besoin d’accepter de prendre des risques auxquels elle n’est pas coutumière, mais aussi de travailler en meilleure coordination avec les autres acteurs présents sur la continent.
Dans ce contexte, le sommet Corée du Sud-Afrique est capital pour la Corée du Sud, notamment pour le président Yoon, qui a subi en quelques mois de nombreux revers (échec de la candidature de Busan à l’organisation de l’exposition universelle 2030, large victoire de l’opposition aux élections législatives de mi-mandat, non-invitation au sommet du G7, fermeture de l’ambassade du Nicaragua en Corée du Sud, etc.). Le dirigeant sud-coréen a besoin de redorer son blason, aussi bien en interne qu’à l’international. Le réussite du sommet pourrait y contribuer.
Reste à savoir s’il s’agit d’une véritable approche stratégique à long terme pour renforcer les liens entre la Corée du Sud et l’Afrique ou d’un simple effet de mode qui viendra mettre un peu de baume au cœur d’une diplomatie sud-coréenne qui en a bien besoin. Toutefois, en voulant jouer sa petite musique seule, la Corée du Sud risque de susciter des attentes auxquelles elle ne sera pas en mesure de répondre – et donc, de générer des frustrations. Une meilleure coordination avec d’autres puissances et agences internationales actives dans ces zones serait un atout majeur à mettre à l’actif de la Corée du Sud, et renforcerait le rôle qu’elle souhaite se donner, à savoir d’être une puissance moyenne libérale et démocratique de premier rang.