Dans le calme olympien du palais de la Marina, l’irruption dun rapport à charge contre le président de la République sonne comme une détonation imprévisible. Depuis quelques mois, le rapport du « New York Center for Foreign Policy Affairs (NYCFPA) » qui circule dans certaines chancelleries étrangères, dans les mains de certains Béninois de la Diaspora, des membres de cabinets de lobbyisme aux Etats et sous les manteaux de députés américains a de quoi donner de la frayeur.
En plus du chef de l’Etat qui est personnellement visé, le rapport accable son fils Lionel, son ministre des finances Romuald Wadagni et le Président de la Cour Constitutionnelle, Joseph Djogbénou. Tous sont accusés de contribuer à la liquidation des droits de l’homme, à la corruption au sommet de l’Etat et des sanctions sont demandées contre chacun deux.
Alors quil semblait rouler tranquillement et volait de succès en succès, selon ce qu’en dit la communication gouvernementale, Talon reçoit un coup inattendu. Le rapport du NYCFPA apparaît comme un petit grain de sable qui risque de perturber et d’endommager même la machine gouvernementale si rien n’est fait.
Ce rapport de recherche de 64 pages est le fruit d’un travail minutieux conduit par le très respecté Alan White, investigateur en chef et fondateur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (2002-2005). Ancien membre du Senior Executive Service, il a servi le gouvernement des Etats Unis pendant 30 ans et a occupé plusieurs postes de direction en tant qu’exécutif fédéral chargé de l’application de la loi. Ses efforts ont abouti à l’inculpation et à la condamnation de Charles Taylor, ancien Président du Libéria, ainsi qu’à 12 actes d’accusations connexes.
Le travail est fait au nom du New York Center for Foreign Policy Affairs (NYCFPA), une organisation de recherche et d’éducation dont le siège est situé dans l’État de New York et qui dispose de bureaux à Washington D.C. Le NYCFPA, en collaboration avec le BWGlobal Group, a fourni les informations à l’appui de ce renvoi au Global Magnitsky Act (GLOMAG). La NYCFPA est une institution indépendante, à but non lucratif et non partisane, qui se consacre à la réalisation de recherches et d’analyses approfondies sur tous les aspects de la politique étrangère américaine et son impact dans le monde.
L’organisation est financée par des donateurs individuels et ne reçoit aucune subvention d’entreprise ou du gouvernement. Ce rapport est authentifié par les services diplomatiques américains qui, en déclinent néanmoins la paternité. « Nous sommes au courant de ce rapport appelant à l’imposition de sanctions aux autorités béninoises en vertu de la loi Magnitsky. Ces rapports proviennent d’une organisation privée et ne reflètent pas la politique du gouvernement américain », précise le porte parole de l’ambassadeur des Etats Unis à Cotonou.
Le rapport tire sa base juridique du Global Magnitsky Act qui est une loi qui permet de « sanctionner ceux qui apportent une aide matérielle aux violations des droits de l’homme et à la corruption, et nous devrions utiliser cette loi plus souvent pour mettre hors d’état de nuire les intermédiaires qui font payer les violations des droits de l’homme et la corruption », précise Chris Smith, député au congrès américain.
Le Global Magnitsky Act a pour but de mettre fin à l’impunité et au confort dont jouissent actuellement de trop nombreux auteurs de violations internationales des droits de l’homme et d’empêcher leur argent souillé d’entrer dans nos systèmes financiers. Elle combat également les violations des droits de l’homme et la corruption qui génèrent des menaces pour la sécurité nationale, le terrorisme et l’économie des États-Unis…
« Si nous restons les bras croisés lorsque les gouvernements refusent de poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme et les fraudeurs financiers, et que nous accueillons ensuite les personnes coupables de tels crimes aux États-Unis et dans nos systèmes financiers, nous facilitons leurs crimes », ajoute-t-il.
Tout en martelant:
« Rester les bras croisés reviendra tout simplement à faciliter leurs crimes ».
Il recommande alors de sanctionner Patrice Talon et les personnes qui l’ont soutenu pour violations des droits de l’homme au titre de la loi Global Magnitsky Act. Le recours à des sanctions ciblées est un outil très puissant souvent utilisé par les américains pour faire plier des régimes jugés autoritaires.
Accablant
Ce rapport de la NYCFPA présente le système Talon comme une organisation dont les motivations sont bien aux antipodes de celles dun pouvoir démocratique. Avec force détails et des exemples précis, le rapport détaille les nombreuses atteintes et pratiques peu orthodoxes du gouvernement en matière des droits de lhomme, de la corruption, de trafic de drogue et autres.
Le rapport 2021 de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale a noté que le Bénin n’est plus un pays démocratique et qu’il est désormais passé à un système hybride qui combine autoritarisme et oligarchie avec des pratiques démocratiques douteuses. Le contrôle du système judiciaire a été un outil puissant dans l’arsenal de Talon pour supprimer la dissidence.
L’ancien ministre de la Justice et actuel chef de la plus haute cour du pays est Joseph Fifamin Djogbénou, anciennement l’avocat personnel de Talon. Lorsqu’il était ministre de la Justice, Djogbénou était responsable de la création de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET), soi-disant pour la répression des crimes financiers et du terrorisme dans le cadre de l’objectif déclaré de Talon de combattre la corruption.
Les preuves montrent que le tribunal spécial a été utilisé principalement pour poursuivre les opposants politiques de Talon. Ce mécanisme a été utilisé pour l’arrestation arbitraire de manifestants et de personnalités de l’opposition. « Nos recherches combinées à d’autres sources ont déterminé que Talon a modifié les règles électorales entraînant l’exclusion de tous les principaux partis d’opposition ».
Ces actions illégales ont entraîné des protestations massives lors des élections parlementaires de 2019 et de l’élection présidentielle de 2021. Talon a répondu par la violence, notamment en abattant des manifestants par la police et l’armée, ainsi que par des mesures sévères de répression des libertés civiles.
Les actions autoritaires de Talon comprenaient également des modifications constitutionnelles créant une révision accélérée qui donnait au président le pouvoir de ratifier unilatéralement les accords de prêt. Ces actions corrompues ont permis au président d’emprunter au nom du pays sans la surveillance du parlement, exigeant seulement qu’il soit notifié dans les 90 jours après le fait.
En plus des consolidations autoritaires du pouvoir, Talon a pris des mesures pour protéger et promouvoir illicitement ses propres intérêts financiers en installant son comptable personnel, Romuald Kossi Wadagni, comme ministre des Finances du Bénin. Cette nomination a permis la privatisation de certains secteurs de l’économie au profit explicite des entreprises appartenant à Talon , précise le rapport.
Et dajouter : « Grâce à un réseau d’entreprises et d’alliés corrompus, ils ont réussi à privatiser plusieurs secteurs du gouvernement afin de s’enrichir aux dépens du peuple béninois. Pour protéger ces intérêts financiers ainsi que sa puissante position de président, Talon a agi pour supprimer la dissidence, éliminer l’opposition et restructurer le processus électoral en sa faveur ».
Affairisme d’Etat
Le rapport met l’accent sur les nombreux cas de corruption mais aussi de collusion entre affaires et pouvoir. De forts soupçons pèsent sur le gouvernement en matière de trafic de drogue mais aussi de gestion mercantile de la dette publique.
Selon l’Indice mondial du crime organisé (publié en 2021) sur le Bénin, sous le régime Talon et publié dans le rapport, on lit : « les niveaux élevés de corruption rendent le Bénin vulnérable aux flux de trafic de cocaïne. C’est une plaque tournante connue pour la cocaïne sud-américaine approvisionnant les marchés européens, l’aéroport de Cotonou étant considéré comme un point de transit important pour la drogue andine. Notamment, en 2019, une cargaison de 4,4 tonnes de cocaïne a été saisie à Montevideo, en Uruguay, à destination de Cotonou, et dont la valeur de revente est estimée à 1 milliard de dollars sur le marché européen. La violence n’accompagne pas souvent le commerce illégal ».
Le rapport précise une sorte de « privatisation » de la dette pour y tirer profit. Cette gestion de la dette a été confiée à la Société de Gestion et d’Intermédiation (SGI BENIN) au détriment de la Caisse Autonome dAmortissement(CAA). « La SGI a été créée en 1996 avec un capital social de 500.000.000F CFA, c’est la plus grande société de gestion et d’intermédiation de droit béninois. La SGI BENIN a été agréée pour participer aux adjudications de titres du trésor en mars 2016. La Société de Financement et de Participation (SFP), société mère de Talon, détient une part de 5% de la SGI BENIN. Romuald Wadagni, le ministre des finances, a mandaté SGI BENIN sans aucune forme de concurrence pour trouver des « acheteurs » potentiels de la dette « bancaire » nationale. La Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) a été exclue de toute activité liée à la mobilisation de ressources financières dans le cadre d’émissions obligataires », révèle le rapport.
Plusieurs autres dossiers de fraude et dabus de pouvoir ont été recensés à la SODECO, SDI, DFAainsi que les nombreuses manuvres visant à affaiblir lEtat et des concurrents en affaires comme Martin Rodriguez, Sébastien Adjavon et autres.
Affabulations
Pour les accusations de corruption, de violation des droits de l’homme, le rapport demande des sanctions contre le président Patrice Talon, son fils Lionel, le ministre des finances Romuald Wadagni et le Président de la Cour Constitutionnelle Joseph Djogbénou pour être reconnus comme les acteurs clés du système de corruption et de liquidation des droits de l’homme installé à la tête du pays. Mais du côté du pouvoir, ses accusations sont balayées du revers de la main. Selon Wilfried Léandre Houngbédji, porte parole du gouvernement,
« Ce rapport est truffé d’affabulations que de sérieuses révélations »
ajoutant qu’il est l’œuvre« d’un petit cabinet proche d’Omar Arouna dont chacun connaît maintenant les mobiles et les intentions et qui est par ailleurs lobbyste pour le Togo auprès des autorités américaines ».
Cette accusation est réfutée par Omar Arouna qui affirme que « le NYCFPA est une ONG indépendante et non partisane. Je suis membre du Conseil consultatif de l’organisation, pas plus. Les enquêtes ont été effectuées par un cabinet indépendant en utilisant des informations de sources ouvertes qui sont citées et vérifiables. Le gouvernement ne peut pas parler l’affabulation sans se prononcer sur les détails. En plus, les enquêtes ont été faites sur recommandation du congressman Chris Smith qui est co-président de la Commission des droits de l’homme au congrès américain. Les enquêteurs sont les mêmes qui font les investigations pour le congrès américain et la CPI. Donc c’est un rapport solide et factuel ». Le gouvernement qui affiche pourtant une sérénité face à ce rapport aurait, selon certaines indiscrétions, entrepris des démarches pour noyer la prise éventuelle de sanctions par le congrès américain.
Francisco LAWSON