Cloche média monde
• *Bonjour Mme Odile-Mojon Cheminade.*
Odile-Mojon Cheminade :
Bonjour Monsieur le journaliste
Cloche média monde
• *Présentez-vous brièvement à nos Lecteurs.*
Odile-Mojon Cheminade : je milite depuis de nombreuses années avec Solidarité et Progrès aux côtés de mon mari, Jacques Cheminade, qui en est le président.J’ai donc vu de près comment les choses se passent dans la vie politique française lorsque vous êtes un parti à « taille humaine » et à contre-courant des grands partis qui, en réalité, n’ont pas intérêt à ce que les choses changent, en tout cas, pas sur le fond.
Mon parcours ne me prédestinait nullement à la politique, car j’ai fait des études de musique (que je continue à pratiquer assidûment). Je crois que tout a commencé avec la crise du pétrole en 1973 qui avait eu de grosses répercutions économiques en France. C’était aussi l’époque où l’on commençait à assister au dépeçage de l’appareil productif français, sur la base d’une rhétorique ultra-libérale bien huilée, au profit d’une vision purement financière de l’économie et je me suis dit que si cela pouvait se produire sans que les politiques s’inquiètent de la défense de l’intérêt général – intérêts fondamentaux de la France et des Français – alors il faudrait se préparer à de très mauvais jours. Sauf que je ne me voyais pas en spectatrice qui regarderait cela les bras croisés.
Cloche média monde :
• *Madame Odile-Mojon Cheminade, quel est l’enjeu de cette élection législative que nul n’a espéré en France, avant la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron ?*
Odile-Mojon Cheminade : Emmanuel Macron est pris au piège. Il est largement détesté, son bilan est un désastre. La France, qui sous la responsabilité de présidents sans vision et sans courage était déjà dans une mauvaise passe, se retrouve aujourd’hui au bord du gouffre. Macron espère rejouer, pour une énième fois, le grand jeu de l’alliance contre l’extrême droite, une extrême droite qu’il instrumentalise sans la moindre honte et que l’ensemble de la classe politique française a contribué, quoiqu’elle dise, à amener au pouvoir en favorisant systématiquement un affrontement binaire et en « éjectant » systématiquement du débat politique quiconque tente d’aborder les vrais enjeux. Il est frappant que personne ne semble intéressé à se demander pourquoi tant de citoyens, dont un bon nombre étaient autrefois des électeurs du Parti communiste (entre autres), en viennent à voter pour le parti de Jordan Bardella (le Rassemblement national), qui s’inscrira dans la continuité de ce que Macron a fait, en l’accommodant de toutes sortes de mesures ineptes et en désignant « l’autre » comme responsable de nos problèmes.
Les Français, surtout dans les classes moyennes, subissent depuis des années une baisse continue de leur pouvoir d’achat, assistent à la disparition des services publics qu’ils payent pourtant par leurs impôts, connaissent un recul significatif de leurs prérogatives de citoyen, constatent que les politiques ont une attitude méprisante à leur égard et ne tiennent pas compte de leur vote. Cela fait beaucoup. Donc ils votent Rassemblement national, non pas nécessairement parce qu’ils croient en leurs idées mais pour frapper un coup fort et être entendus.
Macron étant un homme intelligent, il ne peut pas ignorer qu’il aura de très mauvais résultats. Que fera-t-il alors ? On peut imaginer, entre autres hypothèses, qu’il nommera Bardella comme Premier ministre, qu’il l’usera jusqu’à la corde dans la très grave crise qui se prépare, pour apparaître ensuite en sauveur. Mais nous verrons. Il peut aussi ne pas y avoir de majorité et ce sera alors le chaos car le « régime des partis » est incapable de concevoir une vision cohérente ; ils sont tous incapables de prendre la mesure de l’enjeu international et du risque de guerre.
Pour finir sur cette question et au risque de choquer, j’en viens à me demander si, pour la classe politique actuelle tout comme pour ses comparses que sont les médias – détenus, rappelons-le, à 90 % par des intérêts privés – , l’extrême droite n’est pas une aubaine en ce qu’elle permet de ne pas parler des questions les plus importantes, comme la menace très réelle d’une guerre avec dérapage nucléaire, l’effondrement économique de la France, notre endettement record dans un pays de plus en plus dépendant des l’extérieur et des marchés financiers, la baisse très préoccupante de la natalité, etc.
C’est dans ce contexte, et justement pour aborder ces questions de fond que je me présente dans la 10ème circonscription des Français de l’étranger.
• *Dans le contexte actuel de guerre au quotidien dans toutes les régions de la planète. L’alliance Russie-Corée du nord, l’autorisation des États-Unis aux Ukrainiens à frapper n’importe où en Russie, l’ouverture des négociations sur l’intégration de l’Ukraine en pleine guerre à l’Union Européenne et que sais-je encore, quelle est votre opinion sur la guerre en Ukraine et quel changement pourriez vous opérer si vous disposiez d’un bâton magique ?*
C’est, avec Gaza, l’enjeu majeur de la période actuelle. Cette guerre ne devrait pas exister. Des milliers d’hommes, surtout côté ukrainien, sont morts pour rien et les puissances occidentales, avec un incroyable cynisme, continuent à nourrir la dynamique de guerre. Les Etats-Unis ont déjà voté plusieurs enveloppes, en milliards de dollars, pour des envois d’armes ou pour soutenir par différents moyens l’Ukraine tout en poussant les pays européens à en faire autant.
En France, alors que l’État fait les poches des classes moyennes et des pauvres, l’aide à l’Ukraine se montait déjà fin 2023 à un peu plus de trois milliards d’euros et, si l’on en croit les annonces, il devrait y avoir trois milliards en plus, ce qui fera plus de 6 milliards en tout. Nous fournissons des Scalp qui ont une portée suffisante pour frapper au-delà des frontières ukrainiennes.
Quant à l’Union européenne, elle a acté début février, une « modeste » enveloppe de 50 milliards d’euros, votée au moment même où il y avait un peu partout en Europe des manifestations d’agriculteurs acculés à la faillite par la haute des prix de l’énergie et par les conditions de concurrence déloyales qu’ils subissent.
Pire, encore, en février 2022, c’est Boris Johnson, alors Premier ministre du Royaume-Uni qui s’est démené pour saboter l’accord de paix qui était pratiquement acté entre la Russie et l’Ukraine. Depuis lors, les pays occidentaux ont développé une rhétorique guerrière qui n’admet aucune contradiction et menace même les voix dissidentes, à tel point que quiconque questionne le narratif officiel est immédiatement suspecté d’être un agent russe. A la parole se sont joints les actes, avec l’envoi d’armes, de conseillers, de personnels militaires déguisés en mercenaires, de formateurs pour utiliser les armes sophistiquées qui sont livrées (etc.), et tout porte à croire que les armes qui ont détruit les radars russes de détection précoce de missiles intercontinentaux à Armavir et Orsk ont été guidées par des opérateurs occidentaux. Ces destructions à elles seules accroissent le potentiel d’escalade nucléaire car, si vous êtes Russe et que vous détectez quelque chose de suspect se dirigeant vers votre territoire à vive allure, et que vous ne pouvez savoir ce dont il s’agit, le risque d’une mauvaise interprétation augmente sérieusement.
Le 14 juin, le président Poutine a fait une proposition détaillée de paix. Comment les médias occidentaux l’ont-ils accueilli ? Soit ils n’en parlent pas, soit ils affirment, comme à l’accoutumé, que c’est du bluff. Une attitude irresponsable, tout comme le refus de prendre en considération les huit élargissements de l’OTAN depuis la chute de l’Union soviétique, clairement un « casus belli » pour les Russes, qui se retrouvent avec l’OTAN directement à leurs portes.
Face à qui, dans la réalité des faits, est une guerre de l’OTAN contre la Russie, par Ukraine interposée, il faut de toute urgence convoquer une conférence internationale pour établir une nouvelle architecture de sécurité et de paix par le développement. C’est ce que je défends.
Cloche média monde:
• Et la guerre à Gaza avec des morts et des otages ?
Odile-Mojon Cheminade: c’est une tragédie absolue. L’urgence est d’instaurer un cessez-le-feu et d’assurer la reconnaissance immédiate de l’État palestinien. J’appelle également à la libération de Marwan Barghouti, le seul qui puisse rassembler les Palestiniens et être un interlocuteur pour les Israéliens même s’il me paraît impossible que cela se passe tant que le régime d’extrême droite de Netanyahou sera au pouvoir.La fatalité qui pèse sur le Moyen-Orient est que de par sa situation stratégique entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, et se trouvant en plein milieu de la « route des épices », il a attiré très tôt la convoitise des puissances coloniales, ce qui a amené les fameux (ou plutôt les infâmes) accords de Sykes-Picot entre la France et l’Angleterre en 1916 et, à ce jour, cette région paye un lourd tribut à cette politique et les guerres et désastres qu’elle a provoqués.
D’une certaine manière, il serait assez « simple » de sortir du cercle infernal : si les Etats-Unis cessaient leurs livraisons d’armes à Israël et si les pays européens sortaient de leur silence complice, cela changerait la donne instantanément.
Aujourd’hui, il est clair qu’il faut un accord politique pour sortir de l’impasse et d’une situation hautement toxique et c’est pour cela que Marwan Barghouti me semble être la bonne personne. Toutefois, le seul ingrédient qui permettra qu’une solution aboutisse, c’est le plan Oasis, qui est l’un des éléments clef de mon programme. Il s’agit d’un projet d’ensemble pour résoudre la question de l’eau : l’accès à l’eau, son partage équitable et la production d’eau douce et potable (par dessalement de l’eau de mer). S’engager sur ce programme, avec tous les pays de la région qui sont concernés par la sécheresse et la pénurie c’est, en tant que tel, jeter les bases d’une paix durable et garantir que l’eau ne soit plus utilisée comme une arme.
Vous me direz que tout cela a déjà été dit et je vous répondrais que c’est tout à fait exact, qu’il y a eu un certain nombre de projets (y compris dans les annexes des accords d’Oslo) et que cela n’a jamais abouti.
La différence est qu’aujourd’hui, on a beaucoup avancé sur nombre de points, on a des technologies qui pourraient faire des merveilles. Surtout, il y a l’émergence des BRICS+ et des exemples remarquables de pays qui, faisant face à des défis semblables, arrivent à des résultats très prometteurs. Je pense notamment à ce que fait la Chine dans ses déserts immenses pour essayer de les verdir, un pari qu’elle est en mesure de remporter.
Je veux aussi parler de la plainte que l’Afrique du sud a déposé contre Israël pour suspicion de génocide. En prenant cette décision, l’Afrique du sud a changé de dimension et s’est placée comme référence morale. En effet, alors que nos pays occidentaux, qui ont créé le droit international et ne jurent que par celui-ci, étaient en train de le piétiner. C’est extrêmement important et il faut être reconnaissant à l’Afrique du sud car c’est le refus de l’arbitraire – qui est le début du chaos – et c’est dire au monde qu’il y a des principes qui sont vrais pour tous. J’estime au demeurant que Naledi Pandor, celle qui était la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, est une femme remarquable qui a joué un rôle crucial.
Dans l’absolu, je pense que les Palestiniens et Israéliens sont « condamnés » à s’entendre en dépit de tout le sang versé, de toutes les offenses et de toutes les horreurs. S’ils y parviennent, alors ils pourront sortir ensemble du piège qui les rend otages d’une géopolitique menée de l’extérieur et qui les utilisent comme des pions.
Cloche média monde
• La « francephobie » la haine de la France, monnaie courante aujourd’hui partout en Afrique drainant les coopérations vers la Russie serait-elle due à quoi, selon vous ? Pensez-vous à une politique idéale France-Afrique ?
Odile-Mojon Cheminade : la politique africaine de la France a été déplorable. Nous récoltons ce que nous avons semé, ou plus exactement ce que nos élites ont semé. Je suis consciente que pour changer cet état de fait ce ne sera pas facile car la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale et qui, malheureusement, n’a toujours pas compris qu’il fallait tourner définitivement cette page, s’est aliénée de nombreux pays qui attendaient autre chose d’elle.
Il est d’ailleurs frappant, et honteux, que selon un rapport de l’ONU sur l’indice de développement humain, les pays francophones d’Afrique soient classés parmi les plus pauvres du monde et que perdure le système colonial du franc CFA. Tout est dit.
Dans ce contexte, le renouvellement de la politique étrangère de la France, à laquelle j’appelle, exige une authentique « révolution copernicienne », notamment vis-à-vis de l’Afrique. Nous avons eu un vrai ministère de la Coopération, jusqu’en 1999, mais aujourd’hui lorsque l’on parle de coopération, on pense le plus souvent à des petits projets, ci et là. Or, le type de coopération qui est nécessaire aujourd’hui est radicalement différent. Je défend un vrai Ministère du co-développement, de la coopération et de l’intégration, incluant toutes les données du défi pour les traiter de façon humaine, dans l’intérêt de tous.Il s’agit de s’entendre avec plusieurs pays autour de projets ayant une portée régionale, voir continentale, dans lequel chacun peut avoir quelque chose de spécifique à apporter et que l’on se met à plusieurs à réaliser parce que tout seul, ça ne marche pas. C’est un peu le principe de l’Agence spatiale européenne. L’espace est par excellence le domaine du futur mais les investissements sont tellement lourds que l’on ne peut les faire tout seul (et d’ailleurs est-ce ça en vaudrait la peine?).Sur cette question, il y a besoin d’un changement radical d’attitude par rapport à l’Afrique, aux Africains et plus généralement au reste du monde. Et il y a urgence car le « reste » du monde s’organise, reprend d’ailleurs des valeurs républicaines qui ont fait notre force mais que nous trahissons ou développe les siennes, comme la multipolarité ou le fameux « Ubuntu » des Sud Africains.Est-ce que la France est prête à cela ? Non seulement je l’appelle de tous mes vœux mais c’est le cœur de ma candidature et j’espère trouver ces nombreux Français qui partagent cette approche.
Cloche média monde
• Vous êtes candidate de Solidarité et progrès de la 10e circonscription des français de l’étranger, quelle est la délimitation de votre circonscription ?
Odile-Mojon Cheminade : c’est une circonscription immense, très hétérogène, et passionnante : 49 pays comprenant tout le Moyen-Orient et presque toute l’Afrique à l’exception de l’Afrique de l’ouest et du Maghreb. C’est un peu la circonscription des extrêmes, entre des pays très riches et d’autres parmi les plus pauvres de la planète. Je compte sur tous les Français qui s’y trouvent pour contribuer à un renouveau de notre politique, pour l’avantage de la France et du pays où ils résident, en redonnant son vrai sens au mot de coopération.
• Madame Odile-MojonCheminade merci.*