« La seule solution pour moi c’était la mort, maintenant je veux vivre » dit Emmanuelle (prénom modifié), qui a repris espoir à Abidjan au centre d’accueil de femmes et d’enfants victimes de violences, Akwaba Mousso, unique en Côte d’Ivoire par le travail collectif de ses spécialistes.
Emmanuelle a 24 ans, le corps frêle, mais le regard vif. « Je vivais avec le père de mes enfants » et un des jumeaux qu’il avait eu d’une autre union, explique-t-elle.
Le jumeau, un adolescent de 16 ans en qui elle avait « confiance », a agressé sexuellement ses deux filles, profitant de son absence lorsqu’elle travaillait comme vendeuse.
« Il a mis son doigt dans le sexe de celle qui venait à peine d’avoir un an » et « menaçait la plus âgée: +Si tu (le) dis, je tue ta maman+ », raconte Emmanuelle. « Quand je suis venue ici, j’entendais des voix, je voulais me suicider », témoigne-t-elle, des sanglots dans la voix.
Installée à Abidjan, l’ONG Akwaba Mousso – « bienvenue » en langue akan et « femme » en dioula – inaugurée en avril 2023, offre une prise en charge de jour et compte aussi un foyer où est hébergée Emmanuelle depuis deux mois.
Entre mai et décembre, 132 femmes et enfants ont été accompagnés par l’ONG, parmi lesquels 25 ont bénéficié d’un hébergement. Tous les services y sont gratuits.
Ces femmes ont vécu des violences psychologiques, émotionnelles ou physiques. Certaines sont des mineures victimes de viol, que l’ONG assiste parfois devant la justice.
En Côte d’Ivoire, plus de deux femmes sont violées chaque jour, selon Akwaba Mousso.
Seulement « 30% des femmes victimes de violences » dans ce pays « demandent de l’aide, et en général c’est auprès de leur famille », explique la directrice exécutive et co-fondatrice française d’Akwaba Mousso, Maureen Grisot.
A leur arrivée au centre, dont elles ont entendu parler par le bouche-à-oreille ou les réseaux sociaux, les femmes bénéficient d’une « première écoute », « sans enregistrement, sans montrer leurs papiers », explique-t-elle.
Il leur est ensuite proposé un premier « parcours », durant lequel elles peuvent échanger et être suivies par différents professionnels, au même endroit: la spécificité du centre.
Des travailleurs sociaux, une sage-femme, une juriste, un psychologue, un médecin et une avocate sont présents à temps plein ou lors de permanences.
– « J’ai de la valeur » –
Laurentine Aguié-Koffi, juriste, aide les femmes lors de procédures judiciaires et leur fait connaître leurs droits, qu’une majorité ignore. La Côte d’Ivoire « a des textes » mais « n’en fait pas la promotion », regrette-t-elle.
En décembre 2021, le pays a adopté une nouvelle loi pour renforcer la protection des femmes victimes de violences.
Mais des organisations de la société civile déploraient dans un rapport en 2022 des « dispositifs » toujours « défaillants », en raison notamment d’un « manque cruel de moyens et d’équipements des services médicaux, sociaux et judiciaires ».
De son côté, le psychologue Prince Tra Bi reçoit les femmes individuellement ou collectivement. « Les troubles du stress post-traumatique », la « dépression » et « les troubles somatoformes (troubles mentaux entraînant des symptômes physiques) sont vraiment récurrents » chez « les femmes qu’on reçoit ici », explique-t-il.
La peur derrière elle, Emmanuelle veut être « une femme indépendante, une femme libre ». « Je commence à m’estimer », confie-t-elle, entourée d’autres femmes qui « sont comme des soeurs ».
Parmi elles, Huguette (prénom modifié), mère de famille, vivant avec ses enfants et son mari, « un dictateur », dit-elle, et suit un accompagnement de jour. « Je n’étais rien dans le foyer », témoigne Huguette. « Je n’arrivais pas à m’exprimer (…) c’est lui qui décidait de tout ». « Mon mari me traitait » de « folle », de « nulle ».
Aujourd’hui, « on ne m’impose plus rien. J’ai de la valeur, je me suis donné de la valeur », assure-t-elle avec aplomb.
Lorsqu’une femme n’est plus en danger, un deuxième « parcours » proposé par l’ONG lui permet une réinsertion sociale et professionnelle.
Un autre centre d’accueil et des associations d’aide existent à Abidjan, sans autant de moyens. Akwaba Mousso est subventionnée par la mairie de Cocody, un quartier d’Abidjan, et par des acteurs privés, mais continue de chercher des financements.
En dehors du centre, l’ONG sensibilise aussi les hommes. Une campagne de prévention du harcèlement sexuel a été menée pendant la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui s’est tenue en Côte d’Ivoire en début d’année.