L’Afrique, continent riche en diversité politique et en histoire tumultueuse, est également le théâtre de régimes où le pouvoir semble se pérenniser au-delà des normes démocratiques. Plus de 30 ans au pouvoir, voilà ce qu’ont en commun plusieurs dirigeants africains qui, aujourd’hui encore, incarnent l’une des caractéristiques les plus frappantes de certains régimes politiques du continent : la longévité du pouvoir.
Le phénomène des dirigeants africains qui restent au pouvoir pendant des décennies est une réalité qui persiste malgré les discours sur la démocratisation et la rotation des élites. Si, sur le papier, la plupart des constitutions africaines prévoient des mandats limités, des élections libres et un équilibre des pouvoirs, dans les faits, de nombreux dirigeants parviennent à se maintenir en place bien au-delà de ce que permettrait un système démocratique véritablement fonctionnel. Ces leaders ont souvent recours à diverses stratégies pour prolonger leur règne, qu’il s’agisse de manipuler les lois constitutionnelles, de contrôler les processus électoraux ou d’étouffer l’opposition à travers la répression politique. Le phénomène est d’autant plus marquant en Afrique, où plusieurs dirigeants continuent de régner alors qu’ils sont déjà bien avancés dans leur âge, devenant des figures symboliques du pouvoir absolu.
Les causes de cette longévité au pouvoir sont multiples. Dans certains cas, ces présidents ont su instaurer une forte culture de clientélisme et de fidélité autour d’eux, créant un système où toute opposition est soit réduite au silence, soit contrôlée. Dans d’autres, l’absence de réelles alternatives politiques, combinée à une forte militarisation de la société, a permis de maintenir un contrôle sans partage sur l’ensemble des institutions du pays. Ces dirigeants, souvent considérés comme des pères fondateurs, bénéficient également du soutien de leurs partisans, qui voient en eux des garants de la stabilité, même si cette stabilité est souvent synonyme de répression et de stagnation politique. À l’instar des monarchies, certains de ces dirigeants sont parvenus à transformer leur pouvoir en un quasi-héritage, accaparant à la fois les ressources de l’État et les leviers de l’autorité. Voici quelques exemples marquants de dirigeants africains qui, aujourd’hui, restent au pouvoir après plus de 30 ans à la tête de leur pays :

*Paul Biya (Cameroun) – 50 ans au pouvoir*
Accédant à la présidence en 1982, Paul Biya est aujourd’hui le deuxième président africain ayant régné le plus longtemps. Son long mandat est marqué par un exercice solitaire du pouvoir, avec une opposition souvent réduite à la marge, voire muselée. Biya est le plus ancien dirigeant national non royal actuellement en fonction, ce qui en fait une figure singulière sur la scène mondiale. Si son nom est souvent associé à la stabilité apparente du Cameroun, son leadership suscite également de nombreuses interrogations sur la question de la démocratisation et de l’alternance politique dans le pays.

*Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (Guinée équatoriale) – 45 ans au pouvoir*
En 1979, Teodoro Obiang Nguema Nbasogo renversa son oncle, Francisco Macías Nguema, pour devenir président. Depuis, il détient le record mondial du président ayant servi le plus longtemps au pouvoir, et se classe parmi les dirigeants non royaux ayant régné le plus longtemps au monde. L’empreinte du régime d’Obiang est marquée par une forte concentration de pouvoir, un contrôle total sur les institutions et une gestion souvent critiquée pour ses dérives autoritaires et la répression de toute forme d’opposition.

*Denis Sassou Nguesso (République du Congo) – 39 ans au pouvoir*
Au Congo, Denis Sassou Nguesso incarne l’une des figures les plus anciennes de l’Afrique centrale. Après avoir dirigé le pays de 1979 à 1992, il revient au pouvoir en 1997 après une guerre civile. Depuis, il a maintenu un pouvoir quasi absolu, avec des réformes constitutionnelles successives pour prolonger son mandat. Sa présidence est souvent caractérisée par l’absence de réels contre-pouvoirs et par une gestion autoritaire des affaires du pays. Le contrôle des institutions, couplé à une répression sévère de l’opposition, fait de son pouvoir l’un des plus intransigeants du continent.

*Yoweri Museveni (Ouganda) – 39 ans au pouvoir*
En Ouganda, Yoweri Museveni, arrivé au pouvoir en 1986, est d’abord salué pour ses réformes économiques et la stabilisation du pays. Toutefois, sa décision de modifier la constitution en 2005 pour éliminer la limitation des mandats présidentiels a marqué un tournant dans son régime. Museveni, dont la longévité au pouvoir est alimentée par la modification des lois et l’absence de réelles forces d’opposition, est aujourd’hui souvent critiqué pour sa dérive autoritaire, notamment en matière de libertés publiques et de démocratie.

*Isaias Afwerki (Érythrée) – 31 ans au pouvoir*
Depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, Isaias Afwerki est le seul président que le pays ait connu. Son régime est souvent décrit comme l’un des plus répressifs au monde, marqué par une absence totale de processus électoraux et un système de parti unique. Les libertés civiles y sont réduites au strict minimum, et les critiques contre le régime sont impitoyablement écrasées. La durée de son pouvoir est avant tout le fruit d’un régime qui s’appuie sur une forte militarisation et un contrôle systématique de la société.
Ces dirigeants ont su préserver leur pouvoir pendant plusieurs décennies, parfois en modifiant les constitutions, d’autres fois en manipulant les processus électoraux pour garantir leur réélection. Bien que certains se présentent comme des garants de la stabilité, leur longévité au pouvoir soulève des questions cruciales sur la démocratie, l’alternance politique et le respect des droits humains en Afrique. Si les peuples de ces pays aspirent souvent à des changements, il semble que la route vers un renouvellement des élites demeure semée d’embûches.
Boris MAHOUTO