Le procès très attendu de 17 accusés, à divers degrés, de l’assassinat au Cameroun du journaliste Martinez Zogo, pourfendeur de la corruption au sommet du pouvoir et supplicié par un commando militaire en 2023, s’est ouvert lundi mais a été ajourné au 15 avril.
Un richissime homme d’affaires réputé proche de ministres et d’officiers, Jean-Pierre Amougou Belinga, le directeur d’alors du tout puissant renseignement militaire, Léopold Maxime Eko Eko, son chef des opérations Justin Danwe ainsi que le commando de militaires accusé d’avoir enlevé, torturé et tué le journaliste en janvier 2023, sont jugés notamment pour séquestration, torture et assassinat, ou complicité de ces chefs, selon l’acte d’accusation lu devant le Tribunal militaire de Yaoundé.
Cet assassinat d’un journaliste populaire avait provoqué l’émoi et un véritable tollé au Cameroun, vaste pays d’Afrique centrale dirigé d’une main de fer depuis plus de 41 ans par le président Paul Biya, âgé de 91 ans.
Dans une salle comble, où une partie du public a dû rester debout, Amougou Belinga, le Commissaire divisionnaire Eko Eko, alors chef de la Direction Générale de la Recherche extérieure (DGRE), et le lieutenant-colonel Justin Danwe étaient présents comme les 14 autres accusés, rapporte un journaliste de l’AFP présent dans la salle.
Mais ils n’ont pris la parole que pour répondre présent à l’énoncé de leur état-civil et nommer leurs avocats.
La lecture de l’acte d’accusation a énuméré tous les chefs mais sans détailler qui était accusé d’avoir commis les faits ou d’en avoir été les commanditaires ou complices.
Atrocement mutilé
Calmes, les accusés n’ont montré aucun signe d’émotion particulière pendant les trois heures d’audience. Eko Eko et Amougou Belinga arboraient des costumes noirs, les militaires de la DGRE leurs uniformes de l’armée.
Puis les avocats ont été invités à exposer leurs premières observations par le colonel Jacques Missé Njoné, président du tribunal militaire, qui a ensuite renvoyé l’audience au 15 avril « pour répondre à toutes les observations et communiquer les listes des témoins ».
« Les parties civiles n’ont jamais été amenées à participer à l’instruction, c’est inadmissible. A ce jour, je n’ai pas eu accès au dossier », s’est insurgé Me Calvin Job, l’avocat de la famille Zogo. Le commissaire du gouvernement du tribunal a promis de le lui remettre à l’issue de l’audience.
Enlevé le 17 janvier 2023 devant un poste de gendarmerie dans la banlieue de la capitale Yaoundé, Arsène Salomon Mbani Zogo, dit « Martinez », 50 ans, avait été retrouvé mort cinq jours plus tard. Son corps nu était atrocement mutilé.
L’assassinat avait provoqué un immense choc au Cameroun où M. Zogo était très populaire, mais aussi à l’étranger, contraignant le pouvoir à accepter de mettre sous les verrous des personnalités auparavant considérées comme intouchables.
Sur un ton corrosif, Martinez Zogo n’épargnait personne au sommet du pouvoir, sauf M. Biya et sa famille, une ligne rouge dans les médias.
Pourfendeur des puissants
Il dénonçait particulièrement, au micro de son émission « Embouteillage », sur la radio Amplitude FM, de présumées affaires de corruption avec pour cible favorite Amougou Belinga, propriétaire de nombreux groupes dans les domaines de la banque, des finances, de l’assurance, de l’immobilier et des médias, tous réputés en faveur du pouvoir.
L’assassinat de Martinez Zogo est largement interprété par l’opposition et les analystes comme un avatar sanglant de la guerre de succession que se livrent en sourdine deux clans rivaux dans l’entourage de Paul Biya.
Amougou Belinga est connu pour être très proche de ministres et protégés du président, dont certains réputés être des prétendants à la succession du patriarche. Et eux-mêmes rivaux du secrétaire général de la Présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, dont le nom est également avancé comme un dauphin possible.