Recours contre l’Ordonnance n°288/2025 du Président du TPI de Cotonou : pourquoi la Cour constitutionnelle s’est déclarée « incompétente en l’état »

La décision EP 25-006 du 23 octobre 2025, rendue par la Cour constitutionnelle du Bénin, a fait couler beaucoup d’encre. En se déclarant “incompétente en l’état” dans l’affaire relative à l’ordonnance n°288/2025 du Président du Tribunal de Première Instance de première classe de Cotonou, la haute juridiction a semé la confusion dans l’opinion publique. Pourtant, loin d’être un désengagement, cette décision s’inscrit dans une stricte lecture des procédures judiciaires.

Une contestation citoyenne à forte portée juridique*

Tout part de l’ordonnance n°288/2025 rendue le 13 octobre 2025 par le Président du Tribunal de Première Instance de première classe de Cotonou. Cette décision judiciaire a suscité la réaction de cinq citoyens — Chabi Sika Abdel Kamar Ouassagari, Franck Oké, Habibou Woroucoubou, Antonin Midofi Hounga et Souley Malam Moucouré Boko — qui ont saisi la Cour constitutionnelle pour en contester la conformité à la Constitution béninoise.

Dans leur recours, les requérants ont dénoncé plusieurs violations supposées : le droit à la défense, les principes de sécurité juridique et de légalité électorale, la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes, ainsi que l’autorité de la chose jugée, notamment au regard de la décision DCC 24-040 du 14 mars 2024. Les plaignants estimaient que l’ordonnance du juge de Cotonou méconnaissait les règles de compétence et portait atteinte au droit à un procès équitable.

Une décision fondée sur la maturité de la procédure

Saisie de l’affaire, la Cour constitutionnelle a soigneusement examiné la requête avant de conclure que l’ordonnance attaquée n’avait pas encore acquis l’autorité de la chose jugée devant le juge de la légalité. En d’autres termes, la procédure judiciaire ordinaire n’était pas arrivée à son terme : des recours restaient possibles devant les juridictions de droit commun. De ce fait, la Cour a estimé que la saisine était prématurée, car les voies ordinaires de recours n’étaient pas encore épuisées. Elle s’est donc déclarée « incompétente en l’état ».

Une formule souvent mal comprise

Cette expression, souvent sujette à interprétation, ne signifie ni un rejet définitif du dossier, ni une incompétence absolue de la Cour constitutionnelle. Elle indique simplement que la haute juridiction ne peut pas encore se prononcer à ce stade de la procédure.

Ainsi, les requérants peuvent revenir ultérieurement devant la Cour, une fois la procédure judiciaire achevée et l’ordonnance devenue définitive. Autrement dit, la décision n’interdit pas un futur examen de la constitutionnalité de l’ordonnance n°288/2025. À l’inverse, si la Cour s’était déclarée incompétente tout court, cela aurait signifié qu’elle ne pourrait jamais connaître de l’affaire, quelle que soit l’évolution du dossier — ce qui n’est pas le cas ici.

Un rappel de la hiérarchie judiciaire

Par cette décision, la Cour constitutionnelle réaffirme un principe fondamental : elle n’intervient qu’en dernier ressort, après que toutes les juridictions compétentes ont statué. Ce rappel s’inscrit dans la logique de la hiérarchie des recours et du respect du double degré de juridiction, piliers de la justice constitutionnelle béninoise.

La Cour souligne ainsi que son rôle n’est pas de se substituer aux juges ordinaires, mais d’intervenir uniquement lorsque les décisions contestées ont atteint un stade irrévocable, afin d’en vérifier la conformité à la Constitution.

Une décision pédagogique et prudente

En se déclarant « incompétente en l’état », la Cour constitutionnelle ne se dérobe pas : elle rappelle les règles du jeu judiciaire. Cette décision met en lumière la rigueur procédurale de la haute juridiction, soucieuse de ne pas empiéter sur le domaine des tribunaux ordinaires. Elle invite également les citoyens et les juristes à une meilleure compréhension du rôle et des limites de la Cour constitutionnelle, pour éviter toute confusion dans l’opinion publique.

En résumé, la Cour constitutionnelle n’a pas statué sur le fond du recours contre l’ordonnance n°288/2025. Elle a jugé que les voies de recours ordinaires n’étaient pas épuisées. Sa décision n’exclut pas un futur examen de la constitutionnalité de l’ordonnance, une fois celle-ci devenue définitive. Elle réaffirme ainsi son rôle de gardienne suprême de la Constitution, intervenant uniquement en dernier ressort.

La décision EP 25-006 du 23 octobre 2025 n’est donc pas un refus de justice, mais une leçon de droit. Elle rappelle que la justice constitutionnelle n’est pas un raccourci procédural, mais un ultime recours, à mobiliser lorsque toutes les autres voies ont été parcourues.
Dans un contexte politique et judiciaire souvent sensible, cette clarification est essentielle pour garantir la crédibilité des institutions et la sérénité du débat public.

Boris MAHOUTO

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Administrateur Général Adjoint de Cloche media monde